"Fatwa bancaire" et autres importations linguistiques
France culture : Le Billet politique par Frédéric Says le 23/11/2017
Dis-moi quels mots tu importes et je te dirais qui tu es. Hier, Marine Le Pen a convoqué la presse pour dénoncer la fermeture de son compte bancaire par la banque HSBC. Et voici l'expression qu'elle emploie :
J'en appelle aussi aux autres partis politiques à qui j'écriai, qui demain seront peut-être victimes, eux aussi, de cette fatwa bancaire.
Une « fatwa bancaire »... On imagine l'ayatollah « HSBC », qui décide, après consultation des textes sacrés, d'excommunier Marine Le Pen.
L'expression est travaillée, imagée, employée à plusieurs reprises. Du point de vue du discours frontiste, elle présente un double avantage :
Avec le mot « fatwa », Marine Le Pen convoque la menace islamiste ; avec le mot « bancaire », l'oppression du « système ».
Soit les deux thèmes principaux de sa dernière campagne présidentielle.
Les « Whip »
Chez les Macronistes, la mode est bien sûr davantage à l'anglais. Le chef de l'État n'a de cesse de promouvoir la « start-up nation ».
Le vocabulaire anglo-saxon s'est aussi invité à l'Assemblée, où les députés En Marche désignent leurs responsables thématiques comme des « Whip », à la manière britannique.
Les anglicismes se retrouvent même incognito dans la bouche des ministres. On a noté ce mot hier en écoutant Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État au numérique :
Ce règlement il va placer au coeur de toutes les entreprises, l'obligation, la nécessité, de considérer ces données et de considérer leur protection.
En l'occurrence, il s'agit d'un anglicisme tiré de « to consider », qui ne se traduit pas par considérer, mais par... prendre en considération.
Jean-Luc Mélenchon, lui, fait preuve d'une extrême prudence à l'égard des mots en anglais. Est-ce une manière de lutter contre l'impérialisme... linguistique ?
On le voit rarement utiliser la langue de Shakespeare. Et quand c'est le cas, c'est avec une ostensible mauvaise volonté...
Mon propos porte sur les révélations qui émergent, des paradise papers ou paradise papers suivant vos affinités.
Peut-être Jean-Luc Mélenchon est-il davantage adepte de la langue utilisée par François Bayrou et Alain Juppé : le latin.
Les deux hommes échangent des locutions latines, quand ils veulent ne pas être compris de leur entourage :
Dire en latin in médio stat virtus, c'est au centre que se trouve le courage, ça peut être aussi un clin d'oeil dans les moments où cette idée est mise à mal.
(avec Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV)
Et la droite, dans tout cela ?
Partagée entre un certain conservatisme, un certain amour pour la langue classique et, disons-le, un léger attrait pour la modernité en Marche, connectée au marché, à l'entreprise, à la mondialisation, elle se cherche un peu.
En témoigne cette tentative d'Eric Woerth, le président LR de la commission des finances à l'Assemblée (interview sur Radio Classique) :
Vous croyez que c'est pas oldeuh school que ce soit le Président de la République qui nomme le Président d'En Marche ? C'est pas oldeuh school ça ? C'est super ancienne formule.
« Oldeuh school », le macronisme ? Il a surtout pour particularité de convoquer à la fois des mots de la globalisation triomphante... et des expressions françaises un rien désuètes, qu'on croirait tirées de la collection « bibliothèque verte ».
C'est à la fois la « start-up nation » et la « poudre de perlimpinpin » ; le « team building » et les « galimatias » ; la « task force » et le « truchement ».
Une déclinaison linguistique du fameux « Et en même temps ».